đźź© LETTRE OUVERTE

Comment l’Assemblée a été trompée sur la certification des logiciels de caisse

à Madame la Députée Christine Pirès Beaune
à propos de son intervention du 26 octobre 2024 à l’Assemblée nationale

Madame la Députée,

Votre intervention Ă  l’AssemblĂ©e nationale le 26 octobre 2024, lors de la XVIIe lĂ©gislature et Ă  l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, nous oblige Ă  une rĂ©ponse publique.

En tant que collectif d’éditeurs de logiciels de caisse, nous dénonçons ici une prise de parole fondée sur des faits obsolètes, des affirmations invérifiables, et une vision faussée du cadre juridique en vigueur, jetant un discrédit infondé sur un secteur pourtant rigoureusement encadré depuis 2018.

Vous avez prĂ©sentĂ© Ă  l’AssemblĂ©e nationale un argumentaire censĂ© justifier une rĂ©forme majeure, imposant la certification obligatoire des logiciels de caisse. Nous avons analysĂ© chacun de vos exemples. Aucun ne rĂ©siste Ă  l’examen. Et pourtant, cet amendement a Ă©tĂ© votĂ© sur cette base.

Ce n’est plus un débat technique. C’est une alerte démocratique.

Des exemples judiciaires utilisés à tort

Votre discours évoque deux affaires judiciaires :

  • La condamnation en avril 2021 de restaurateurs toulousains pour des faits remontant Ă  2014–2018.
  • La condamnation en 2024 de gĂ©rants d’une brasserie dans le Tarn pour des faits commis entre 2013 et 2017.

Vous en tirez cette conclusion : « Le point commun entre ces deux affaires : les coupables utilisaient un logiciel de caisse non certifié. »

Mais vous omettez un point capital : ces faits sont antérieurs au cadre légal actuel, entré en vigueur le 1er janvier 2018 via l’article 88 de la loi de finances pour 2016 et son Bulletin officiel (BOFiP).

Ă€ l’époque, il n’existait ni obligation de certification, ni auto-attestation, ni exigences techniques comparables. Le concept mĂŞme de logiciel “autocertifiĂ©” n’existait pas au moment des faits. Ces exemples n’ont donc aucun lien juridique ou technique avec les logiciels actuels visĂ©s par la rĂ©forme.

Utiliser ces cas obsolètes pour justifier une réforme en 2025 est un anachronisme politique, qui contribue à fausser la compréhension du débat parlementaire.

En l’Ă©tat, cette prĂ©sentation  :

  • repose sur une lecture partielle et anachronique des faits ;
  • alimente une confusion entre infractions anciennes et cadre rĂ©glementaire actuel ;
  • s’appuie sur des cas dĂ©connectĂ©s de la lĂ©gislation en vigueur ;

Pire, cette présentation a pu induire l’Assemblée en erreur en laissant croire que ces fraudes persistent massivement malgré un encadrement strict depuis plus de six ans.

Quand l’argumentation politique repose sur des faits obsolètes, ce n’est plus un simple débat technique. C’est une alerte sur la qualité du processus législatif, et sur les conséquences très concrètes qu’il peut produire..

Des chiffres flous, un amalgame ciblé

Vous évoquez un manque à gagner de 6 à 10 milliards d’euros de TVA, un chiffre effectivement relayé par la DGFIP. Mais vous ne précisez pas que ce montant concerne l’ensemble de la fraude à la TVA, tous secteurs et tous mécanismes confondus.

Or, vous laissez entendre qu’une part significative de cette somme serait liée à l’utilisation de logiciels de caisse non certifiés, sans fournir la moindre donnée pour le justifier.

Aucune étude sérieuse. Aucune donnée publique. Aucun rapport de la DGFIP. Pas un chiffre, pas une estimation, pas même une approximation ne permet de chiffrer l’impact des logiciels de caisse sur ce total.

Même en admettant un lien, ce secteur ne représenterait qu’une part infime du montant total évoqué, certainement pas de quoi justifier une réforme d’ampleur.
On peut dès lors s’interroger : si vous avez choisi de citer la fraude globale, n’est-ce pas justement parce que les chiffres réels liés aux logiciels de caisse sont trop faibles pour convaincre ?

Vous transformez une suspicion en certitude, et vous utilisez une estimation globale pour cibler un secteur ultra-réglementé depuis plus de six ans. On ne lutte pas efficacement contre la fraude avec des approximations, ni en ciblant les mauvais acteurs.

Une comparaison de tarifs inventée ?

Vous avez déclaré à l’Assemblée que « le logiciel le plus onéreux » que vous aviez trouvé était un logiciel autocertifié.

Cette affirmation interpelle : quel est ce logiciel ? À quel tarif ? Sur quelle période ? Quelle méthodologie avez-vous suivie pour établir cette comparaison ? Il est difficile d’en mesurer la portée sans données précises, d’autant que les écarts de prix sont souvent liés aux fonctionnalités, aux services associés, ou aux segments clients visés.

Une telle déclaration, jetée dans le débat encore une fois sans la moindre source, ni vérifiable, ni contextualisée, sert de justification implicite à une réforme contraignante, au bénéfice exclusif de certains acteurs.

Une vision technocratique, déconnectée du terrain

Vous affirmez que les éditeurs auraient « intérêt à être certifiés » dans le cadre de la facturation électronique. C’est une lecture fausse, technocratique et déconnectée du terrain.

La certification n’ouvre aucun marché. Elle impose des audits coûteux (10 000 à 20 000 € à l’entrée, puis 5 000 à 7 000 €/an), des contraintes lourdes et exclut mécaniquement les petits éditeurs, ceux qui s’adaptent et répondent aux besoins de proximité des TPE.

En imposant une certification obligatoire, cette réforme entraînera le remplacement massif de logiciels pourtant déjà conformes au cadre légal actuel.

Pour les commerçants, cela signifie :
– l’achat d’un nouveau logiciel, souvent plus coûteux ;
– des frais de migration, de formation, et de reconfiguration ;
– parfois la perte de leurs données historiques ;
– et une dépendance renforcée à quelques grands éditeurs.

Pour des dizaines de milliers de TPE, ces dépenses supplémentaires sont intenables dans le contexte économique actuel. Elles menacent leur rentabilité, leur autonomie, et parfois leur simple continuité.

Si cette certification était aussi bénéfique que vous le dites, elle n’aurait pas besoin d’être rendue obligatoire.

Conclusion : Une réforme fondée sur des bases erronées

Votre intervention repose :

  • sur des exemples judiciaires obsolètes qui sont juridiquement caducs,
  • sur des chiffres non dĂ©montrĂ©s,
  • sur des bĂ©nĂ©fices fantasmĂ©s,
  • sur un lien avec la fraude jamais prouvĂ©.

Votre intervention a pu contribuer à une compréhension erronée du cadre juridique par l’Assemblée. Vous avez laissé entendre que des fraudes massives persistent, en construisant un discours politique fondé sur des faits dépassés, des estimations fragiles et des affirmations sans preuve.

Nous lançons une alerte démocratique

Quand le Parlement vote une contrainte sur la base d’exemples obsolètes, d’estimations vagues et d’affirmations erronées, il ne s’agit plus d’un simple défaut d’analyse. C’est une défaillance du processus législatif.

Nous rappelons par ailleurs la réponse officielle du ministère de l’Économie à votre propre question parlementaire (QANR n°13970) précise d’ailleurs que :
– Aucune donnĂ©e ne montre que l’auto-attestation est plus propice Ă  la fraude ;
– La certification n’est pas une garantie suffisante en soi ;
– Et sa gĂ©nĂ©ralisation impliquerait un surcoĂ»t majeur pour les entreprises et les consommateurs.

Cette rĂ©forme, fondĂ©e sur de fausses prĂ©misses, menace un Ă©cosystème complet pourtant dĂ©jĂ  encadrĂ©, risque d’exclure de nombreuses entreprises, et de dĂ©truire des emplois, sans qu’aucun lien n’ait Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© entre notre activitĂ© actuelle et la fraude Ă©voquĂ©e.

Nous tenons également à rappeler que notre collectif regroupe des éditeurs présents sur l’ensemble du territoire français, au plus près des TPE et des commerces de proximité. Ces acteurs travaillent depuis 2018 dans un cadre strict, conforme à la réglementation issue de l’article 88 de la loi de finances pour 2016. Depuis cette date, la fraude massive par logiciel de caisse permissif n’est plus une réalité. Le cadre en place fonctionne. Aucune donnée sérieuse ne démontre aujourd’hui l’existence d’un problème systémique justifiant un nouveau durcissement.

Notre Position :

Nous demandons :

  • L’amĂ©nagement ou la rĂ©vision de cette disposition, par voie rĂ©glementaire ou lĂ©gislative, afin d’exclure les TPE de son champ d’application ;
  • Une Ă©valuation sĂ©rieuse, indĂ©pendante et publique du dispositif en vigueur depuis 2018, avant toute gĂ©nĂ©ralisation, afin d’étayer les dĂ©cisions futures sur des faits documentĂ©s ;
  • L’ouverture d’un vĂ©ritable dialogue avec les Ă©diteurs concernĂ©s, en concertation avec les services du ministère de l’Économie.

Nous demandons publiquement que ce dispositif soit réexaminé à la lumière des faits, que l’on cesse de cibler des acteurs déjà conformes à la réglementation, et que la représentation nationale ne légifère plus sur des constructions erronées.

Nous sommes ouverts à un débat public, technique, documenté. Mais nous refusons toute réforme fondée sur des amalgames, des approximations ou des récits biaisés.

Nous nous réservons le droit d’agir publiquement, collectivement et juridiquement, pour défendre notre activité, notre réputation et la vérité des faits.

Collectif TPE : Editeurs de logiciels de caisse

**Cette lettre exprime une opinion collective formulée dans le cadre du débat public sur une réforme législative.

.

Source :

Compte rendu de la deuxième séance du Samedi 26 Octobre 2024

.

Et n’oubliez pas notre pétition, qui témoigne d’un véritable soutien citoyen : plus de 17 000 signatures recueillies en quelques semaines.

👉 Pétition : Soutenez les petites entreprises ! STOP à la certification obligatoire (loi finances 2025)

……….

A Suivre : prochainement.. Acte 2 (ce que l’on ne vous dit pas dans les coulisses de cette réforme)